samedi 21 juillet 2012

L’Olympisme est une “philosophie de la vie
A quelques jours de l’ouverture des Jeux de Londres, il est temps de s’interroger sur cette “vision du monde” inscrite dans la charte olympique

   Les Jeux Olympiques de Londres s’ouvriront le 27 juillet et pendant quinze jours, le discours sur les valeurs et les vertus du sport risque de balayer une fois encore toute analyse qui ne cherche pas à distribuer l'aménité mais à énoncer ce qui est. Dans un domaine consensuel et tabou où le sens commun domine, le travail de l’observateur critique n'est pas de séduire, mais d'armer ; son propos n’est pas plaire au plus grand nombre mais de mettre en question les évidences. Or, le sport et l’olympisme font l'objet de croyance, de commentaire, d'adoration ou de rejet mais nullement de connaissance.
   Le sport entendu comme pratique physique compétitive, codifiée et institutionnalisée (à ne pas confondre avec toute activité physique) n’est pas un simple divertissement neutre et anodin mais un “fait social total” aux multiples implications politiques, idéologiques, économiques et culturelles. Il sature notre espace et notre temps. Malgré ses centaines de millions de licenciés sur la planète (15 millions en France), ses milliards de téléspectateurs, son intégration totale à «l'économie-monde» et son omniprésence dans la vie quotidienne, il reste un sujet méconnu. Sportifs et non-sportifs, hommes politiques et intellectuels, « glissent » sur l'institution olympique et sportive soit par amour aveugle (« Ne touchez pas à ma religion »), soit par dangereux désintérêt de connaissance (« Le sport je m’en moque, ça ne m’intéresse pas »).

L’idéal olympique : un échafaudage idéologique
   L’Olympisme qu’on nous présente comme le socle de “la fête quadriennale de l’humanité” n’est pas un jeu innocent mais une « philosophie de la vie » (Premier principe fondamental inscrit dans la Charte), c’est-à-dire une vision politique du monde destinée à conquérir la planète entière. Pierre de Coubertin annonçait la couleur à l’aube du vingtième siècle : le sport doit être le levier d'une transformation profonde des âmes, le moyen de « rebronzer les corps et les esprits », et de créer un homme nouveau. L’Olympisme veut contribuer au perfectionnement de l’homme, le rendre meilleur et nous conduire vers la cité parfaite. Il doit conquérir le globe : « Nous dicterons au monde ce en quoi il doit avoir foi ». Grâce à l’indifférence ou à la complicité active ou aveugle de beaucoup de citoyens, l’institution olympique a su diffuser massivement ses prétendues valeurs de liberté, de paix, de fraternité et de trêve, et structurer ainsi la conscience de centaines de millions d'individus à travers le monde.
   L’histoire du sport et de l’Olympisme est en réalité celle d’un échafaudage idéologique : l’idéal olympique. La raison sportive nous fait contempler dans son essence la beauté des vérités éternelles : la franchise, la loyauté, le désintéressement dans l’ambition, la modestie dans la victoire, la sérénité dans la défaite, la chevalerie en toutes circonstances, en résumé, toutes « les grandes vertus dont la plaine d’Olympie fut le champ de manœuvre ». Au commencement est le sport olympique antique dont la perfection et l’universalité sont d’emblée saisies comme un idéal transcendant.
   Le mythe olympique tient en ces mots de Coubertin « La rencontre heureuse et fraternelle de la jeunesse mondiale effacera peu à peu l’ignorance où vivent les peuples (…,) ignorance qui entretient les haines ». Faire du sport le socle de la fraternité planétaire et de l’amitié entre les peuples a toujours été la mission principale des propagateurs de l’idéal olympique. Or, le premier siècle de l’olympisme rénové (1896-1996) fut un siècle de boue et de sang au cours duquel jamais l’homme ne fut plus cyniquement inhumain.
   Dans un article sans concession, « Le Fétichisme olympique » paru en 1972, le professeur Maurice Duverger dénonçait déjà cette prétention universaliste. Demander aux hommes d’un monde aussi divisé que le nôtre de s’affronter sur un stade en oubliant leurs antagonismes politiques et sociaux était, selon lui, une entreprise plus que douteuse : « Sa nature est profondément conservatrice. Masquer les contradictions et les conflits de la société a toujours été l’un des moyens essentiels de maintenir l’ordre établi » (Le Monde, 17 septembre 1972).
Au mythe de la fraternité s’ajoute le mythe de la pureté. L’Olympisme est vertueux parce qu’il l’est ! Depuis toujours et naturellement. Le passé de plénitude et de bonheur auquel on se réfère, personne ne l’a jamais connu. Dès le 5ème siècle av. J.-C., les passions et les appétits aidant, la fraternité et l’amateurisme sont fréquemment mis à mal, les trêves sont systématiquement violées, les combines sont multiples et l’argent ne se dissimule pas.
   L’image idyllique des Jeux antiques (1) fréquentés par des athlètes braves et dévoués est purement idéologique. Comme le montre l’historien Raoul Girardet, les rêves de l’âge d’or procèdent souvent d’une forme relativement proche du malaise, de l’inquiétude ou de l’angoisse. C’est dans la fuite hors du quotidien et dans le refus d’aller chercher à la racine les maux du sport contemporain que l’on projette les symboles générateurs d’un temps légendaire.
   L’idéologie olympique, comme toute idéologie, est un système illusoire et non un système d’idées fausses, ce qui la rend socialement et politiquement efficace. En étant présenté comme l’art d’appliquer à la réalité les idéaux de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité, le sport assure sans mal le consensus. Or, ces idéaux ne sont pas faux, mais séparés de leurs conditions sociales concrètes d’émergence et de la nature de la compétition, ils servent à dissimuler un système qui les contredit. Par exemple, avancer les idéaux de loyauté et de respect c’est oublier que le sport produit lui-même une certaine violence et génère les passions. Il symbolise davantage la lutte permanente et la domination des uns sur les autres que l’amitié et le fair-play.

L’Olympisme : une vision politique du monde
   Les rencontres olympiques et sportives n’ont pas vocation à être des terres de concorde mais plus souvent tout le contraire ! Elles consolident les frontières, nourrissent les tensions, les haines et les divisions, les médailles et victoires attisant les particularismes. Chacun défend ses couleurs dans une unité de pacotille, pauvres et riches au coude à coude, et prépare les Jeux avec ses « champions en herbe» trop souvent traités comme de la chair à compétition.
   Au nom de l’universalisme, le CIO ouvre à tous les pays des Jeux qui ont souvent servi de vitrine aux dictatures les plus meurtrières. De Berlin 1936 à Pékin 2008, la paix olympique a souvent été la paix des cimetières. Le 13 juillet 2001 lorsque Pékin est désignée ville olympique, le pouvoir chinois promet « d'énormes avancées » en matière de droits de l'Homme. Quelques rares citoyens éveillés n’y croient pas mais leurs cris d’indignation ne brisent pas la somnolence générale. Le C.I.O, ses agences et ses « courroies de transmission » vont censurer pendant des années toute parole relative au boycott.
   Nicolas Sarkozy alimente lui-même très largement le discours de sens commun et donc la supercherie olympique. En avril 2007, le Président de la République déclare : « Les Jeux olympiques, c'est un espace de liberté. Ça va contribuer à ouvrir la Chine et, naturellement, c'est de la pacification (…). Le sport est un fédérateur entre les hommes (...)». En août 2008, le jour de l’ouverture des Jeux, il invite les sportifs à « accompagner la Chine vers l'ouverture, la tolérance, vers le progrès, vers le respect des valeurs qui sont les nôtres (…). On ne boycotte pas un quart de l'humanité ».
   Fin 2009, les nouvelles venues de Chine montrent à quel point l’Olympisme n’a pas servi la paix et la tolérance : onze ans de prison pour un intellectuel dissident chinois, et pour la première fois depuis 1951, un Occidental est exécuté. Selon Amnesty International, sur les 2 400 exécutions de condamnés à mort en 2008 dans le monde, 1700 ont eu lieu en Chine. En 2012, la situation ne s’est pas améliorée et le site de la Ligue des Droits de l’Homme montre que les Jeux ont permis de renforcer la répression. Le cas de l’avocat Gao Zhisheng, arrêté en 2006, est révélateur. Dans un article, il a détaillé « les tortures brutales et inhumaines qu'il a subies pendant les longues périodes de sa disparition ». La grande fête universelle n’était pas pour lui. A Pékin, le sport et l’Olympisme ont cautionné une nouvelle fois un régime aux mains sales.
   Contrairement à l’idéal d’apolitisme proclamé dans la Charte, l’Olympisme est politique de deux manières. D’une part, il est traversé par tous les enjeux politiques d'une conjoncture historique donnée. Depuis toujours, les JO ont été le théâtre d’enjeux politiques nationaux ou internationaux et ce dès 1896 avec l’intervention du souverain grec. D’autre part, il constitue une vision politique du monde. Il est le terrain privilégié d'affirmation des identités, il encourage les antagonismes locaux, régionaux ou nationaux, il appuie des politiques qui visent des buts précis (régénérer la race, lutter contre la décadence des mœurs, préparer un avenir radieux, etc.), et il véhicule des «valeurs» sur lesquelles nous devons tous nous s'interroger. La conception du monde et de la société qui se dissimule derrière l’Idée olympique constitue une série de positions politiques, pédagogiques, morales et culturelles. L’imaginaire olympique est aussi un imaginaire politique.
   Nationalisme, mercantilisme, individualisme, culte du corps-machine, de la performance et de la compétition, le sport ne semble pas pouvoir être réformé. Pas plus que l’Olympisme. En 1920, Pierre de Coubertin affirmait : « L’Olympisme est une grande machinerie silencieuse dont les rouages ne grincent jamais ». Le fossé est tel entre les idéaux proclamés et la réalité de l’institution olympique, de son rôle diplomatique, de ses enjeux économiques que nous devons ouvrir les yeux devant la perpétuelle mystification qui consiste à affirmer haut et fort la « valeur humaniste » de l’olympisme. Analyser le sport en général et l’Olympisme en particulier c’est aussi analyser notre société. Il est temps que tous les citoyens soient parfaitement informés pour s’en rendre compte.
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Michel Caillat
Auteur de « Le Sport », Editions Le Cavalier Bleu, Collection Idées reçues, 2008 (1ère édition 2002) et de divers ouvrages de sociologie du sport
Responsable du Centre d’Analyse Critique du Sport
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(1) Il existe une rupture fondamentale entre les Jeux antiques et les Jeux modernes. L’idée de filiation directe n’a pas de sens.
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