mardi 1 novembre 2011

Parole unique et pensée unique
Y.  Noah, le discours de sens commun et la complaisance journalistique

Yannick Noah a donné une interview le 30 octobre sur France 2 dans l’émission Stade 2. Sur le site de la chaîne publique, la vidéo apparaît sous le titre « Pas de langue de bois pour Yannick Noah ». En vérité le propos de l’ex tennisman reprend le discours de sens commun et donne un bel exemple de la langue de bois des sportifs. Nous avons retranscrit l’entretien en ajoutant de brefs commentaires qui font bien comprendre que tout discours sur le sport mérite l’analyse. Le sport dans sa pratique comme dans ses paroles n’est ni neutre, ni anodin.

1er plan – Noah chante pour les jeunes de Gigondas.

Le journaliste (Clément Meunier) expose le sujet - La personne préférée des Français éduque et enchante près de 3000 jeunes dans les cités depuis près de 16 ans par le tennis. Le sport, ses valeurs, deux notions qui lui tiennent particulièrement à cœur.

Commentaires – L’affirmation de 200 jeunes éduqués par an semble aller de soi. Quelle éducation ? La remarque du philosophe allemand Theodor Adorno « la compétition est au fond un principe opposé à une éducation humaine » ne mérite t’elle pas d’être ici débattue ? Que disent les études sur le sport facteur d’intégration ? Les expériences multiples de sport dans les banlieues (exemple : les opérations anti été chaud lancées par la gauche à peine arrivée au pouvoir en 1981) ont-ils été couronnées de succès ? N’alimente t’on pas une fois encore le mythe du sport remède aux maux de la société ?

Plan sur une affiche où l’on parle ainsi de Yannick Noah (YN) : « Investissez avec lui dans Fête le mur et associez votre entreprise à son image ».

YN parle : «  C’est important pour les enfants de pouvoir, à travers le sport, rencontrer des copains, apprendre la notion de partage, d’équipe, de respect de l’adversaire. Il y a plein de choses qu’on peut faire passer avec le sport.

 « C’est pour ça que je suis partisan de faire beaucoup plus de sport dans l’Education que ce soit au lycée, à l’école, pour que dans l’esprit des gens il y ait plus de sport pour les gosses.

Commentaires – Les valeurs proclamées sont-elles les valeurs réelles ? Qui a déjà rencontré l’idéal sportif sur les terrains ? Que fait-on passer avec le sport dit de compétition (à ne pas confondre avec l’activité physique) ? Ne distille-t-il pas à flots les valeurs de l’ordre établi en leur donnant une existence pratique quasi naturelle. N’est-il pas un moyen d’exacerber l'individualisme et le mérite personnel, de promouvoir l'idéologie du don, le culte du chef, de faire l'apologie du rendement, du travail libérateur, de la douleur et de la souffrance, et de rendre acceptable l'inégalité, le cynisme du plus fort, le mépris des faibles, l'âpreté au gain ? Qui a  en mémoire les rapports sur la casse sportive chez les jeunes (l’ESIP*) ou sur le lien « plus de sport, plus de violence chez les jeunes » ? 
* Entraînement sportif intensif et précoce

YN : « Je suis d’autant plus certain de ça que je l’ai vécu. Je sais qu’à travers moi et mes convictions, j’ai fait vivre ça à mon fils que tout le monde connaît maintenant. C’est magique de voir le gamin qui a toujours rêvé d’être Michael Jordan.
Commentaires – Que faut-il penser de l’idéologie du vécu ?

Incrustation d’une interview de Joaquim Noah à l’âge de 12 ans qui confirme son désir de devenir M. Jordan

YN : « Tu te dis, il y a des choses très très fortes qui se passent au-dessus de nous parfois quand je vois qu’il joue maintenant dans cette équipe des Chicago Bulls. C’est incroyable »
Commentaires – L’ascension sociale grâce au sport n’est-elle pas un miroir aux alouettes ? Combien de prétendants ? Combien de J. Noah ou de K. Benzema ? Combien de laissés pour compte ?

Incrustation d’une interview de Joaquim Noah à l’âge de 15 ans qui insiste sur l’aide de son père surtout sur l’aspect mental

YN. reprend : « Je suis un bon coach, j’essaie d’être un père décent. Bien sûr que j’aidais mon fils, bien sûr que tous les papas doivent aider leurs fils et tous les tontons doivent aider leurs gamins.
Commentaires – Et les mamans et les tatas ?

« Et le gamin à 10-11 ans, il a besoin de photos, d’images, de héros, de champions qui nous ont fait rêver un moment, comme les champions du monde de foot (Incrustation de Zidane). Ca c’est fini. Des milliers de gosses vont se mettre au rugby maintenant. Tout ça est lié. Le travail qu’on peut effectuer dans les cités avec le sport et cette passerelle avec les champions.
Commentaires – Est-ce un besoin ? N’est-il pas créé ? Que penser de l’identification des enfants (et des adultes) aux champions et à leurs « valeurs » ?

Le journaliste – Et nos champions de tennis, les Gasquet, Montfils, vous les regardez ?

YN : « Non je ne regarde plus ce qu’ils font. Djokovic-Nadal c’est une autre dimension mais un match de tennis ce n’est pas que des balles frappées. J’aimerais bien entendre la voix des uns et des autres. Fédérer ça fait dix ans qu’il domine le tennis mondial et à part 2 ou 3 conférences de presse tu ne sais pas qui c’est. C’est frustrant ».
Commentaires – Ne disait-il pas plus haut que le sport forgeait l’esprit d’équipe, le respect ? Le tennis qu’il « enseigne » n’est-il pas, il est vrai,  un sport très individualiste ?

Le journaliste – Tennisman, chanteur et demain quoi, la politique ?

YN : « La politique est quelque chose qui ne m’intéresse pas du tout. Il y a un passage obligatoire qui ne correspond pas à ma façon d’être. Moi j’essaie d’être à peu près intègre et je suis un mec qui ne va pas passer son temps à serrer les paluches »
Commentaires – En cherchant un peu dans le passé ne trouverait-on pas des propos très politiques de YN ? Aller jouer en Afrique du Sud au temps de l’apartheid n’était-ce pas politique ? N’a-t-il pas une vue simple voire simpliste (et très populaire voire « populiste ») de l’homme politique nécessairement peu honnête et se limitant à serrer des mains ?

Le journaliste évoque alors de récents propos de David Douillet peu gentil avec Noah qui répond : «  Rien ne me choque dans ce que dit Douillet. Ca ne compte pas pour moi. J’aurai l’occasion de lui répondre. J’ai quelques fiches » (sourires).
Commentaires – Quelles fiches ? Faut-il voir là  des menaces ?

Le journaliste – Ce n’est pas évident en ce moment avec votre position ambiguë avec le fisc. Ca vous a embêté

YN : « Non, non, je règle ça. Si je dois de l’argent je vais le payer. Si je ne le dois pas, je ne le paierai pas. Ce sont mes oignons et je ne vois pas tellement le rapport avec le sport ».
Commentaires – Voilà plus de 15 ans qu’il hésite entre payer et surtout ne pas payer ! Quel lien avec le sport ? Facile à trouver. Les services de Bercy ne lui reprochent-ils pas d’avoir continué à résider majoritairement en France en 1993 et 1994 - où, selon le Canard enchaîné, il possédait 17 comptes bancaires - alors qu'il s'était fait domicilier en Suisse ? N’était-il pas encore dans le monde du sport même s’il avait arrêté sa carrière en 1991 avant un bref retour en 1995 ? (Parenthèse : combien de joueurs parmi les dix premiers français sont aujourd’hui domiciliés en Suisse ? Il faut vérifier mais la réponse serait 9 !)

Le journaliste – En tout cas aujourd’hui, vous êtes toujours satisfait d’être la personnalité préférée des Français

YN : « Je suis content quand quelqu’un vous dit je vous aime. Il va juste falloir assumer »

Le journaliste – C’est la folie au PSG avec Pastore ça doit vous plaire

YN : « Un club se crée à Paris avec des fonds étrangers c’est super. Je suis content, je suis content pour le public. A nouveau au Parc on va gagner un peu des matches. Le stade vibre et des gens repartent heureux. C’est ça le sport ».
Commentaires – S’interroger sur le sport et l’argent, le sport et les phénomènes de foules, le sport comme moyen d’évasion pour une large partie de la population qui souffre de plus en plus, ne semble pas l’intéresser. Est-ce trop politique ?... Il est à noter qu’un sportif est toujours content pour le public (combien de fois par semaine entend-on cette formule « faire plaisir à notre public ») mais que sait-il de la vie de son public ? Et qu’en pense ledit public ? 
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