lundi 18 avril 2011

Le dopage n’est pas une perversion du sport

Le départ du prochain Tour de France sera l’occasion, comme chaque année, d’alimenter le mythe du sport enfin pur...

«Il faut être imbécile ou faux jeton pour s'imaginer qu'un cycliste professionnel qui court 235 jours par an peut tenir le coup sans stimulant»,  Jacques Anquetil (1967)

   Comme chaque année, va retentir le 2 juillet prochain en Vendée le couplet sur  le Tour du renouveau, de la sérénité et de la propreté enfin retrouvées. Finies l’ère des Riss, Ullrich, Landis, Armstrong, Contador, tous vainqueurs du Tour et tous soupçonnés ou convaincus de dopage ; cette fois au départ du Passage du Gois, les bonimanteurs de service  (dirigeants et journalistes) joueront leur rôle habituel : distiller le mythe de l’idéal sportif en déclarant vouloir enfin en finir avec le discours sur le sport trahi, le cyclisme meurtri, le Tour de France décrédibilisé. Or, jamais le sport n’a été ce qu’il dit être : l’idéal sportif est une pure construction idéologique. 
  Les produits dopants peuvent être utiles dans tous les sports, de l’automobile au rugby, du golf au football (1). L’erreur serait de croire que seul le cyclisme est touché par le fléau du dopage même s’il est plus facile, dans ce sport plus contrôlé, de trouver quelques exemples pris dans la » légendaire, fabuleuse et merveilleuse » histoire du cyclisme :
   Dans son livre «La tête et les jambes», publié en 1894,  Henri Desgrange parle ainsi à un jeune coureur :  «Quant aux poisons que l'on dénomme kola, coca, je te défends d'y toucher. Quand tout le corps médical réuni viendrait te dire qu'ils produisent des résultats extraordinaires, tu n'en feras jamais usage». Le créateur du Tour de France entrevoyait déjà les dangers...il y a plus de cent ans !
   Dans la présentation du Bordeaux-Paris 1901, le même Henri Desgrange déclare ne pas croire aux chances du pistard Gougoltz : «Il n'y aura pas comme sur les lignes droites d'un vélodrome des amis pour lui passer en temps voulu ce que réclamera son estomac» (des dopants). On parle alors des soigneurs de la piste comme des «chargeurs réunis».
  Victor Linard, champion du monde de demi-fond dans les années 20  (1921.24.26.27) écrit : «Dans l'argot cycliste le doping s'appelle dynamite (…). J'en ai pris durant toute ma carrière, j'en ai pris de quoi faire sauter la Tour Eiffel
  Dans son livre « Le doping ou les surhommes du vélo », Roger Bastide ajoute alors la parole d’un jeune qui avoue : «Ce que nous prenons maintenant, on ne le donnerait pas à un mourant pour le prolonger d'une heure jusqu'à la venue du prêtre confesseur». Bastide s'étonne : «Cela ne vous fait pas peur de jouer ainsi avec votre santé ? Votre vie peut-être ?». Il a ce haussement d'épaules fataliste qu'ils ont tous quand on évoque ce problème ».
. En 1933, notant les défaillances d’un « grand du peloton », Goddet écrit dans L'Auto que ça montre que le coureur «ignore encore tout de l'alimentation»  (déjà l’aveuglement volontaire du journaliste) et Roger Bastide d'ajouter : «Lignes pleines d'enseignements pour le docteur Dumas, par exemple. Il ne manquera pas de penser - tous les signes extérieurs l'indiquent - que les tartelettes au riz et les cuisses de poulets distribuées à nos braves coureurs devaient comporter de bien mystérieux additifs pour les toucher de la sorte au foie et à l'estomac». 77 ans avant la “mésaventure Contador”, la viande fait déjà des ravages...
  Et on pourrait continuer ainsi la longue liste des déclarations  sur le dopage dans le cyclisme (et dans les autres sports): « Demain on court, on fait du sport propre » leitmotiv  bien plus fort mais aussi vain que le célèbre « Demain on rase gratis ».
   Depuis l’origine du sport en général et des courses cyclistes en particulier (fin 19ème - début 20ème siècle), les discours n’ont pas changé. Provisoirement, on peut conclure avec Bastide  : «Le coureur est pris au jeu. De même que ce souverain eût donné son royaume pour un cheval, il est prêt à donner un lambeau de sa santé pour une victoire.
   «Et les organisateurs et les chroniqueurs aussi se prennent au jeu, perdant de vue, dans le lyrisme de l'action, les dangers que présentent «les breuvages magiques secoués dans des bidons». C’est en effet avec la mort que trop de sportifs « jouent ». Le dopage n'est pas une perversion du sport, il est dans sa nature.
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(1). Voir les travaux du Docteur Jean-Pierre de Mondenard et son dernier ouvrage, Dopage dans le football, La loi du silence, Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 2010.

2 commentaires:

  1. Sans oublier tour de France, tour de forçats d'Albert Londres (1924).

    Je découvre votre blog via arrêt sur images. Ma critique personnelle du sport professionnel a tendance à se radicaliser et rejoint vos analyses stimulantes et ô combien nécessaires. Continuez ainsi! :-)

    Laurent

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  2. Ne vous inquiétez pas. Nous continuerons à montrer que le sport n'est pas un simple jeu anodin et innocent mais une vision du monde. Il nous faut trouver des relais mais nous ne devons pas trop compter sur les médias, les intellectuels, les sponsors, etc. pour faire comprendre qu'en sport on parle souvent de ce qui n'existe pas pour ne pas parler de ce qui existe.
    Analyser le sport c'est aussi analyser la société. Les lecteurs qui réagissent ici peuvent toujours nous joindre pour un dialogue plus complet, sur l'adresse du Centre d'analyse critique du sport : lecacs@live.fr
    Le CACS

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