dimanche 22 juillet 2012

Brève réflexion sur la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv’ et sa couverture par la télévision publique

La puissance idéologique* du sport
Ou quand les événement sportifs passent bien avant les moments majeurs de notre Histoire. En toute neutralité...

   Le Président de la République François Hollande a présidé le dimanche 22 juillet la commémoration du Vel d'Hiv', à Paris, 70 ans après la grande rafle qui a marqué un tournant dans la persécution des juifs sous le régime de Vichy. Les 16 et 17 juillet 1942, environ 13.000 juifs ont été arrêtés en région parisienne par les forces de police françaises sur instruction du gouvernement de Vichy.
    Les chaines publiques de télévision n’ont pas jugé utile, bon ou décent de bouleverser leurs programmes pour diffuser une telle cérémonie et permettre au plus grand nombre d’écouter le discours du Président de la République. Les dessins animés Scooby Doo et Batman sur France 3 et le feuilleton Plus belle la vie sur France 4 ont été diffusés… normalement.
   Il y a quelques semaines, un autre événement avait été traité différemment par France 3. Deux rencontres du premier ou du second tour du tournoi de tennis de Roland Garros avaient alors conduit la chaîne à modifier en toute hâte, à deux reprises, ses programmes de soirée.
   Chacun appréciera les choix faits. Des choix ni anodins, ni innocents. Et ce n’est pas fini.
   Du 15 juin au 15 août, l’Open de France de tennis, le championnat d’Europe de football, le Tour de France et les Jeux Olympiques auront occupé des dizaines et des dizaines d’heures d’antenne sur les chaînes publiques.
   Le Président de la République a dit haut et fort ce 22 juillet qu’il fallait transmettre la mémoire” et “combattre l’oubli”.
   Les jeunes connaissent mieux les « bobos » de Tony Parker et les dernières aventures amoureuses de nos champions et championnes que les moments tragiques de l’Histoire de France (1). Est-ce surprenant ? La télévision publique n’a rien fait ce 22 juillet pour modifier le terrible cours des choses.
   Entre les beaux discours et la réalité, il y a souvent un fossé (les sportifs sont les mieux placés pour le savoir).
   Le matraquage sportif va se poursuivre. Pendant les quinze jours londoniens, les petites histoires supplanteront encore la grande Histoire (y compris l’histoire sombre de l’Olympisme illustrée par les Jeux de Berlin de 1936).
    Le sport sature notre espace et notre temps. Or, malgré ses centaines de millions de licenciés sur la planète, ses milliards de téléspectateurs, son intégration totale à «l'économie-monde», son implacable marchandisation, sa puissance idéologique, il reste un sujet méconnu et tabou. Mais un sujet omniprésent dans la vie quotidienne et sur nos écrans de télévision.
    Malheureusement, un élément essentiel est oublié : limiter l’analyse du système sportif à ce qu’il montre c’est ignorer tout ce qu’il occulte et qui est loin d’être secondaire.
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* On pourrait parler du “Pouvoir spirituel du sport” ou de “L’emprise du sport
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(1). Même s’il faut se méfier des sondages, y compris du sondage relatif à la connaissance de la rafle du Vel d’Hiv chez les plus jeunes.

samedi 21 juillet 2012

L’Olympisme est une “philosophie de la vie
A quelques jours de l’ouverture des Jeux de Londres, il est temps de s’interroger sur cette “vision du monde” inscrite dans la charte olympique

   Les Jeux Olympiques de Londres s’ouvriront le 27 juillet et pendant quinze jours, le discours sur les valeurs et les vertus du sport risque de balayer une fois encore toute analyse qui ne cherche pas à distribuer l'aménité mais à énoncer ce qui est. Dans un domaine consensuel et tabou où le sens commun domine, le travail de l’observateur critique n'est pas de séduire, mais d'armer ; son propos n’est pas plaire au plus grand nombre mais de mettre en question les évidences. Or, le sport et l’olympisme font l'objet de croyance, de commentaire, d'adoration ou de rejet mais nullement de connaissance.
   Le sport entendu comme pratique physique compétitive, codifiée et institutionnalisée (à ne pas confondre avec toute activité physique) n’est pas un simple divertissement neutre et anodin mais un “fait social total” aux multiples implications politiques, idéologiques, économiques et culturelles. Il sature notre espace et notre temps. Malgré ses centaines de millions de licenciés sur la planète (15 millions en France), ses milliards de téléspectateurs, son intégration totale à «l'économie-monde» et son omniprésence dans la vie quotidienne, il reste un sujet méconnu. Sportifs et non-sportifs, hommes politiques et intellectuels, « glissent » sur l'institution olympique et sportive soit par amour aveugle (« Ne touchez pas à ma religion »), soit par dangereux désintérêt de connaissance (« Le sport je m’en moque, ça ne m’intéresse pas »).

L’idéal olympique : un échafaudage idéologique
   L’Olympisme qu’on nous présente comme le socle de “la fête quadriennale de l’humanité” n’est pas un jeu innocent mais une « philosophie de la vie » (Premier principe fondamental inscrit dans la Charte), c’est-à-dire une vision politique du monde destinée à conquérir la planète entière. Pierre de Coubertin annonçait la couleur à l’aube du vingtième siècle : le sport doit être le levier d'une transformation profonde des âmes, le moyen de « rebronzer les corps et les esprits », et de créer un homme nouveau. L’Olympisme veut contribuer au perfectionnement de l’homme, le rendre meilleur et nous conduire vers la cité parfaite. Il doit conquérir le globe : « Nous dicterons au monde ce en quoi il doit avoir foi ». Grâce à l’indifférence ou à la complicité active ou aveugle de beaucoup de citoyens, l’institution olympique a su diffuser massivement ses prétendues valeurs de liberté, de paix, de fraternité et de trêve, et structurer ainsi la conscience de centaines de millions d'individus à travers le monde.
   L’histoire du sport et de l’Olympisme est en réalité celle d’un échafaudage idéologique : l’idéal olympique. La raison sportive nous fait contempler dans son essence la beauté des vérités éternelles : la franchise, la loyauté, le désintéressement dans l’ambition, la modestie dans la victoire, la sérénité dans la défaite, la chevalerie en toutes circonstances, en résumé, toutes « les grandes vertus dont la plaine d’Olympie fut le champ de manœuvre ». Au commencement est le sport olympique antique dont la perfection et l’universalité sont d’emblée saisies comme un idéal transcendant.
   Le mythe olympique tient en ces mots de Coubertin « La rencontre heureuse et fraternelle de la jeunesse mondiale effacera peu à peu l’ignorance où vivent les peuples (…,) ignorance qui entretient les haines ». Faire du sport le socle de la fraternité planétaire et de l’amitié entre les peuples a toujours été la mission principale des propagateurs de l’idéal olympique. Or, le premier siècle de l’olympisme rénové (1896-1996) fut un siècle de boue et de sang au cours duquel jamais l’homme ne fut plus cyniquement inhumain.
   Dans un article sans concession, « Le Fétichisme olympique » paru en 1972, le professeur Maurice Duverger dénonçait déjà cette prétention universaliste. Demander aux hommes d’un monde aussi divisé que le nôtre de s’affronter sur un stade en oubliant leurs antagonismes politiques et sociaux était, selon lui, une entreprise plus que douteuse : « Sa nature est profondément conservatrice. Masquer les contradictions et les conflits de la société a toujours été l’un des moyens essentiels de maintenir l’ordre établi » (Le Monde, 17 septembre 1972).
Au mythe de la fraternité s’ajoute le mythe de la pureté. L’Olympisme est vertueux parce qu’il l’est ! Depuis toujours et naturellement. Le passé de plénitude et de bonheur auquel on se réfère, personne ne l’a jamais connu. Dès le 5ème siècle av. J.-C., les passions et les appétits aidant, la fraternité et l’amateurisme sont fréquemment mis à mal, les trêves sont systématiquement violées, les combines sont multiples et l’argent ne se dissimule pas.
   L’image idyllique des Jeux antiques (1) fréquentés par des athlètes braves et dévoués est purement idéologique. Comme le montre l’historien Raoul Girardet, les rêves de l’âge d’or procèdent souvent d’une forme relativement proche du malaise, de l’inquiétude ou de l’angoisse. C’est dans la fuite hors du quotidien et dans le refus d’aller chercher à la racine les maux du sport contemporain que l’on projette les symboles générateurs d’un temps légendaire.
   L’idéologie olympique, comme toute idéologie, est un système illusoire et non un système d’idées fausses, ce qui la rend socialement et politiquement efficace. En étant présenté comme l’art d’appliquer à la réalité les idéaux de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité, le sport assure sans mal le consensus. Or, ces idéaux ne sont pas faux, mais séparés de leurs conditions sociales concrètes d’émergence et de la nature de la compétition, ils servent à dissimuler un système qui les contredit. Par exemple, avancer les idéaux de loyauté et de respect c’est oublier que le sport produit lui-même une certaine violence et génère les passions. Il symbolise davantage la lutte permanente et la domination des uns sur les autres que l’amitié et le fair-play.

L’Olympisme : une vision politique du monde
   Les rencontres olympiques et sportives n’ont pas vocation à être des terres de concorde mais plus souvent tout le contraire ! Elles consolident les frontières, nourrissent les tensions, les haines et les divisions, les médailles et victoires attisant les particularismes. Chacun défend ses couleurs dans une unité de pacotille, pauvres et riches au coude à coude, et prépare les Jeux avec ses « champions en herbe» trop souvent traités comme de la chair à compétition.
   Au nom de l’universalisme, le CIO ouvre à tous les pays des Jeux qui ont souvent servi de vitrine aux dictatures les plus meurtrières. De Berlin 1936 à Pékin 2008, la paix olympique a souvent été la paix des cimetières. Le 13 juillet 2001 lorsque Pékin est désignée ville olympique, le pouvoir chinois promet « d'énormes avancées » en matière de droits de l'Homme. Quelques rares citoyens éveillés n’y croient pas mais leurs cris d’indignation ne brisent pas la somnolence générale. Le C.I.O, ses agences et ses « courroies de transmission » vont censurer pendant des années toute parole relative au boycott.
   Nicolas Sarkozy alimente lui-même très largement le discours de sens commun et donc la supercherie olympique. En avril 2007, le Président de la République déclare : « Les Jeux olympiques, c'est un espace de liberté. Ça va contribuer à ouvrir la Chine et, naturellement, c'est de la pacification (…). Le sport est un fédérateur entre les hommes (...)». En août 2008, le jour de l’ouverture des Jeux, il invite les sportifs à « accompagner la Chine vers l'ouverture, la tolérance, vers le progrès, vers le respect des valeurs qui sont les nôtres (…). On ne boycotte pas un quart de l'humanité ».
   Fin 2009, les nouvelles venues de Chine montrent à quel point l’Olympisme n’a pas servi la paix et la tolérance : onze ans de prison pour un intellectuel dissident chinois, et pour la première fois depuis 1951, un Occidental est exécuté. Selon Amnesty International, sur les 2 400 exécutions de condamnés à mort en 2008 dans le monde, 1700 ont eu lieu en Chine. En 2012, la situation ne s’est pas améliorée et le site de la Ligue des Droits de l’Homme montre que les Jeux ont permis de renforcer la répression. Le cas de l’avocat Gao Zhisheng, arrêté en 2006, est révélateur. Dans un article, il a détaillé « les tortures brutales et inhumaines qu'il a subies pendant les longues périodes de sa disparition ». La grande fête universelle n’était pas pour lui. A Pékin, le sport et l’Olympisme ont cautionné une nouvelle fois un régime aux mains sales.
   Contrairement à l’idéal d’apolitisme proclamé dans la Charte, l’Olympisme est politique de deux manières. D’une part, il est traversé par tous les enjeux politiques d'une conjoncture historique donnée. Depuis toujours, les JO ont été le théâtre d’enjeux politiques nationaux ou internationaux et ce dès 1896 avec l’intervention du souverain grec. D’autre part, il constitue une vision politique du monde. Il est le terrain privilégié d'affirmation des identités, il encourage les antagonismes locaux, régionaux ou nationaux, il appuie des politiques qui visent des buts précis (régénérer la race, lutter contre la décadence des mœurs, préparer un avenir radieux, etc.), et il véhicule des «valeurs» sur lesquelles nous devons tous nous s'interroger. La conception du monde et de la société qui se dissimule derrière l’Idée olympique constitue une série de positions politiques, pédagogiques, morales et culturelles. L’imaginaire olympique est aussi un imaginaire politique.
   Nationalisme, mercantilisme, individualisme, culte du corps-machine, de la performance et de la compétition, le sport ne semble pas pouvoir être réformé. Pas plus que l’Olympisme. En 1920, Pierre de Coubertin affirmait : « L’Olympisme est une grande machinerie silencieuse dont les rouages ne grincent jamais ». Le fossé est tel entre les idéaux proclamés et la réalité de l’institution olympique, de son rôle diplomatique, de ses enjeux économiques que nous devons ouvrir les yeux devant la perpétuelle mystification qui consiste à affirmer haut et fort la « valeur humaniste » de l’olympisme. Analyser le sport en général et l’Olympisme en particulier c’est aussi analyser notre société. Il est temps que tous les citoyens soient parfaitement informés pour s’en rendre compte.
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Michel Caillat
Auteur de « Le Sport », Editions Le Cavalier Bleu, Collection Idées reçues, 2008 (1ère édition 2002) et de divers ouvrages de sociologie du sport
Responsable du Centre d’Analyse Critique du Sport
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(1) Il existe une rupture fondamentale entre les Jeux antiques et les Jeux modernes. L’idée de filiation directe n’a pas de sens.
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dimanche 8 juillet 2012

Les basketteurs et l'amour du maillot
(photo : Mag Centre)
   Amara Sy, Cedrick Banks, David Monds, Maleye N’Doye, Yohan Sangaré et Georgi Joseph quittent l’OLB. Six des huit joueurs majeurs de l’équipe de basket qui avaient l’amour du maillot orléanais sont “obligés” de partir pour des raisons… salariales.   
   Première question: La grande salle Arena est prévue pour une équipe résidente : l’OLB. Peut-on qualifier de résidents des joueurs qui sont aujourd’hui à Orléans, demain à Villeurbanne, Cholet ou Roanne ?    
   Deuxième question : Que disent clairement le Conseil régional, le Parti socialiste et toute la gauche sur la subvention de 20 millions d’euros accordée par l’Etat et sur la subvention de 11 ou 12 millions accordée par la région ? Jugent-ils le projet d’investissement nécessaire à la relance économique ? Les moyens financiers ne peuvent-ils pas être accordés à des projets moins élitistes et plus créateurs d’emplois ? La rigueur budgétaire ne passe t-elle pas par le sport ?
   Question subsidiaire : Que pensent les élus de gauche de la subvention accordée par la ville à l’équipe de France de basket qui prépare les Jeux à Orléans ?